La Mortification et la Souffrance dans la Foi Chrétienne

Version courte

Le mot "mortification" fait peur. Il évoque pour beaucoup des pratiques extrêmes, une spiritualité morbide, un mépris du corps et du plaisir. Pourtant, cette dimension traverse toute l'histoire du christianisme et constitue l'un des mystères les plus profonds de la foi. Comment comprendre que la croix, instrument de torture et de mort, soit devenue le symbole central de l'espérance chrétienne ? Pourquoi la tradition de l'Église a-t-elle toujours enseigné que le renoncement fait partie intégrante du chemin spirituel ?

Ces questions ne sont pas seulement théoriques. Elles touchent à l'expérience humaine la plus universelle : celle de la souffrance inévitable, celle du renoncement nécessaire, celle du combat contre nos propres tendances destructrices. La réponse chrétienne à ces réalités mérite d'être comprise dans son sens authentique, débarrassée des caricatures qui la défigurent.

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I. Les confusions à écarter

Avant de comprendre ce qu'est la mortification chrétienne, il faut d'abord dissiper les malentendus qui l'entourent.

La mortification n'est pas du masochisme. Le masochisme consiste à rechercher le plaisir dans la douleur, dans une complaisance morbide où la souffrance devient une fin en soi. La mortification chrétienne authentique ne recherche jamais la douleur pour elle-même. Elle peut être douloureuse, certes, mais son but n'est pas la douleur : c'est la liberté, l'amour, l'union à Dieu. Les fruits en témoignent : paix intérieure, charité accrue, liberté spirituelle, et non trouble, repli sur soi ou obsession.

La mortification n'est pas du dolorisme. Le dolorisme est une hérésie qui glorifie la souffrance pour elle-même, qui croit que Dieu veut notre malheur, que plus on souffre, plus on est saint. L'enseignement chrétien authentique affirme tout le contraire : Dieu ne veut pas la souffrance, Il veut notre joie et notre bonheur. La croix est un moyen, non une fin. La fin, c'est la Résurrection, la vie éternelle, la joie parfaite. Le Christ lui-même, à Gethsémani, a demandé que la coupe passe loin de lui. Il n'a pas recherché la souffrance pour elle-même, mais Il l'a acceptée par amour.

La mortification n'est pas une performance ascétique. Contrairement aux pratiques ésotériques où l'ascèse vise à "purifier son karma" ou à gagner son salut par ses propres efforts, la mortification chrétienne ne relève pas d'une logique méritocratique. La grâce de Dieu est première : l'homme ne peut pas se sauver par ses propres œuvres. Le renoncement se fait par amour, non pour "gagner" quoi que ce soit. Comme le dit saint Paul : "Quand je livrerais mon corps aux flammes, s'il me manque l'amour, cela ne me sert de rien" (1 Co 13,3).

II. Le sens authentique

Si la mortification n'est ni masochisme, ni dolorisme, ni performance, qu'est-elle donc ?

Elle est d'abord un chemin de libération. Le terme vient du latin mortificatio : "faire mourir". Mais que faut-il faire mourir ? Non pas la vie elle-même, ni le corps, ni la joie, mais ce que saint Paul appelle le "vieil homme" — l'homme esclave de ses passions désordonnées, de son égoïsme, de son orgueil. La mortification vise à libérer l'homme de ces esclavages intérieurs pour l'ouvrir à l'amour véritable. Elle ne détruit pas, elle libère. Elle ne brise pas, elle fait grandir.

Son fondement et sa finalité sont l'amour. Sans l'amour, la mortification est vaine et peut même devenir dangereuse. C'est l'amour de Dieu et le désir de Lui ressembler ; c'est l'amour du prochain et la volonté de se donner pour lui qui donnent sens à tout renoncement. La tradition chrétienne, de Jean Cassien à François de Sales, de Thérèse d'Avila à Thérèse de Lisieux, affirme unanimement : la charité est la mesure de toute pratique ascétique. L'hospitalité prime sur le jeûne. Un sourire offert dans la difficulté vaut plus qu'une grande pénitence faite sans amour.

Elle trouve son sens dans le mystère de la Croix. Pour saisir le sens de la mortification chrétienne, il faut contempler le Christ en croix. La croix n'est pas un accident, ni une simple défaite transformée en victoire. Elle est le lieu où se révèle, de manière suprême, l'amour de Dieu pour l'humanité. "Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime" (Jn 15,13). Ce qui sauve, ce n'est pas la souffrance elle-même, mais l'amour manifesté dans la souffrance. En unissant nos propres épreuves à celles du Christ, nous participons à son œuvre de salut. Notre souffrance, assumée par amour, devient féconde.

Elle distingue deux types de souffrance. La société actuelle impose une souffrance destructive : imposée par un système qui va contre la nature humaine, sans sens, absurde, solitaire, permanente. La tradition chrétienne propose une souffrance constructive : choisie librement selon ses forces, respectueuse des besoins vitaux de chaque personne, accompagnée par une communauté, transitoire car elle mène vers la libération intérieure. Cette distinction est capitale : la mortification chrétienne ne glorifie pas toute souffrance, elle transforme celle qui est vécue dans l'amour.

III. Comment la vivre concrètement ?

La tradition spirituelle a élaboré au fil des siècles une sagesse pratique pour vivre la mortification de manière saine et féconde.

Les mortifications intérieures sont les plus importantes. Jean Cassien, Thomas d'Aquin, Thérèse d'Avila convergent : ce sont les renoncements intérieurs qui importent le plus. Mortification de la volonté propre : accepter de ne pas toujours faire ce qu'on veut. Mortification du jugement : renoncer à juger les autres, à critiquer, à imposer son opinion. Mortification de l'orgueil : accepter l'humiliation, reconnaître ses fautes, renoncer à briller. Mortification de la susceptibilité : ne pas se vexer, accepter la critique. Ces mortifications touchent la racine même du péché : l'orgueil, l'amour-propre, la volonté de domination.

Les petits renoncements quotidiens valent autant que les grandes pénitences. Sainte Thérèse de Lisieux l'a magnifiquement montré : ce qui compte, ce n'est pas la grandeur de l'acte, mais la grandeur de l'amour qui l'inspire. Un sourire offert dans la difficulté, une parole blessante reçue en silence, une tâche ingrate accomplie avec joie : tout cela participe au mystère de la croix. La sainteté n'est pas réservée à une élite d'ascètes, mais accessible à tous dans la vie ordinaire.

Le discernement et l'accompagnement sont essentiels. Personne ne peut s'engager seul sur ce chemin sans risquer de graves erreurs. Les maîtres spirituels insistent tous sur la nécessité d'un guide sage qui aide à discerner ce qui vient de Dieu et ce qui vient de l'ennemi, ce qui construit et ce qui détruit. Plusieurs critères permettent de discerner : la mortification produit-elle la paix intérieure et la charité ? Respecte-t-elle la santé physique et mentale ? Est-elle ordonnée à l'amour ou à une forme d'orgueil spirituel déguisé ?

L'équilibre et la modération sont requis. François de Sales met en garde contre les excès : "Les jeûnes longs et immodérés me déplaisent bien fort." Jean de la Croix lui-même, après avoir pratiqué des austérités excessives dans sa jeunesse, a dénoncé "les pénitences de bêtes". La grande tradition chrétienne prône la modération. Il faut trouver sa juste mesure, adaptée à son état de vie, à sa santé, à sa vocation propre. Une mortification qui détruit la santé ou l'équilibre psychologique n'est pas chrétienne.

Elle conduit à la joie, non à la tristesse. Tous les saints en témoignent : celui qui renonce à soi par amour découvre une liberté et une joie que le monde ne connaît pas. "Je trouve ma joie dans les souffrances que j'endure pour vous", écrit saint Paul (Col 1,24). Cette joie paradoxale est le signe que la mortification chrétienne est authentique. Le chrétien qui la vit n'est jamais triste ni morose : il porte en lui l'espérance de la gloire à venir.

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Conclusion

La mortification chrétienne authentique n'est ni une pratique morbide, ni une glorification de la souffrance. Elle est un chemin de libération qui vise à rendre l'homme libre pour qu'il puisse aimer véritablement. Son fondement est l'amour, sa mesure est la charité, son fruit est la paix.

Elle n'est jamais le dernier mot. La croix conduit à la Résurrection. Le but ultime n'est pas la souffrance, mais la vie éternelle, la joie parfaite, la communion plénière avec Dieu dans l'amour. "J'estime que les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer à la gloire qui doit se révéler en nous" (Rm 8,18).

Il n'y a pas de solution miracle, mais il existe un chemin. Un chemin ancien, expérimenté par des millions de personnes avant nous. Un chemin qui respecte la nature humaine, qui honore chaque étape de la vie, qui propose de donner du sens à la souffrance plutôt que de la subir dans l'absurde. Un chemin qui, lorsqu'il est vécu dans l'amour et le discernement, conduit non à l'oppression mais à la liberté.

Pour aller plus loin, consultez notre étude complète sur les fondements bibliques et théologiques de la mortification chrétienne.

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